suicide du grand-père

Il vivait seul depuis plusieurs années, dans l’indifférence de son entourage. Il en avait décidé ainsi. Il ne prenait plus aucun plaisir à fréquenter « les autres » comme il disait. Lorsqu’il avait l’obligation de devoir passer un moment avec quelqu’un, il en éprouvait le plus profond ennui.

En douceur, sans que personne ne s’en rende compte, il avait cessé de sortir de chez lui. Il n’appelait plus. Et, aux rares connaissances qui lui téléphonaient pour avoir de ses nouvelles, il n’offrait rien d’autres que quelques banalités. Si bien qu’en peu de temps il fut définitivement débarrassé de toutes contraintes sociales. Il demeurait ainsi seul, en misanthrope discret. Dans cette maison éloignée de tout et de tous.

Malgré tout, il fut contraint un jour sortir voir un médecin afin de soulager une douleur persistance. Il dut consulter plus sérieusement les professionnels qui diagnostiquèrent la présence d’un cancer. Après avoir procédés à plusieurs contrôles, les médecins s’emparèrent de son corps. Considérant qu’il n’était pas en mesure de prendre conscience de la maladie qu’il venait de contracter. Ils décidèrent de l’opérer.

Faisant valoir leur statut de thérapeutes empreints de divin, ils obtinrent facilement la docilité du patient ignorant, et purent ainsi expérimenter leurs techniques sur les organes soumis. Sous couvert d’un continuel progrès de la science, ils ouvrirent le corps confiant ou apeuré, puis se vantèrent dans leurs milieux de quelques réussites conquises, mais sur combien d’échecs irréversibles ? Et de vies brisées ? Combien d’hommes et de femmes pour lesquels la vie post opératoire n’est qu’un long calvaire avant d’être libérés par la mort.

Les effets prévisibles de son opération se révélèrent dégradants. Il savait qu’il n’aurait pas accepté de passer entre les mains chirurgicales s’il avait été averti des conséquences. Il vivait depuis avec la présence ad vitam d’une poche à sa ceinture, contenant la solution finale de sa digestion. Il se vidait de tout ce qu’il avalait sans pouvoir en maîtriser la retenue, tout finissait là, dans ce cul de sac. Condamné à récupérer ses excréments dans ce prolongement intestinal. Il ne pouvait endiguer la matière en décomposition qui lui provenait.

L’idée de se maintenir en vie dans cet état lui était devenue insupportable.

Un soir n’en pouvant plus, il s’installa dans son fauteuil. Il regarda devant lui durant un long moment, les yeux fixé sur la grande pendule à balancier, comme pour sentir le temps filer autour de lui. Il laissa la pénombre envahir peu à peu la pièce. Lorsque le silence figea tout, il plaça entre ses genoux le fusil de chasse chargé, les deux orifices noirs dirigés vers sa tête. Il ouvrit la bouche, glissa l’embouchure du canon entre ses mâchoires. Le froid de l’acier sur son palais le fit frissonner. A cet instant aucun regret ne traversa son regard. Il quittait ce monde avec soulagement, sans peur. Doucement il ferma les yeux comme un condamné qu’il n’était plus, et appuya sur la détente.

Le déclic de l’impact du chien sur la cartouche fut le dernier son qu’il entendit. Le bruit de la détonation fut couvert par le passage du train de 21h32.

Il n’avait pas trouvé nécessaire de laisser une lettre pour expliquer son geste. Il ne voyait d’ailleurs pas à qui elle aurait pu être adressée.

Deux jours plus tard les gendarmes découvrirent le corps, décapité par la charge trop puissante du fusil avec lequel il s’était donné la mort.

Mon père indifférent s’attela à la logistique de l’enterrement.

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