de l'élégance du suicide

Rarement le suicide fut traité avec autant de justesse que dans les Lettres à Lucilius de Sénèque, où il nous confie : « Quand on a du courage, on ne manque pas d’idées pour mourir, mais la raison nous prescrit de le faire, si possible, sans douleur. »

Que ce soit les douleurs du corps ou celles de l’âme, vous ne pouvez pas décider de partir dans un ultime acte désordonné, laissant derrière vous une traînée d’incompréhension, un magma de négligences.

Vous ne devez pas laisser l’ombre d’une approximation pathétique, tout doit finir le plus clairement possible

Un départ précipité vous soumettrez à des sentences proclamées à votre encontre par des amis si prompt à vous incriminer de n’avoir pas su leur faire confiance lorsque vous traversiez ce qu’ils considéraient être, « une douloureuse crise vous ayant amené à ce geste déraisonné ». Ils se targueraient d’avoir pu vous comprendre si vous vous étiez confié sur leurs épaules narcissiques. Ils pensent ainsi, qu’ils vous auraient sauvé de vous-même, de ce qu’ils pensent avoir été votre perte. Tombent alors les condamnations par contumace : « On n’était pas capable de le comprendre peut-être ? ».

Mettez-vous à l’abri des sempiternels mea culpa judéo-chrétien, car vous deviendrez l’unique cause du Grand Malheur qui s’abat sur eux. La longue procession de pleurs égocentrés, vous accusant de les mettre face à leur finitude, à leur propre mort.

Réalisez que vous ne pouviez décemment pas rester en vie pour leur faire plaisir. « Vivre ne devant pas obéir à un devoir, mais à une envie. »

Ne laissez pas votre enterrement se troubler d’un ruissellement cafouilleux. Nombres de personnes dans votre milieu s’infligeraient alors le poids de la culpabilité. C’est d’ailleurs moins pour les protéger d’eux même, que pour épargner votre cortège funèbre de vulgaires « Si j’avais su l’écouter… », ou encore « J’aurais dû me rendre compte qu’il n’allait pas bien… »

Avouez que ces larmoiements entachent maladroitement la cérémonie.

Ils se permettront d’imaginer les causes de votre suicide. Concluant à votre sujet d’un profond mal-être qui vous amena à commettre ce qu’ils considèrent être l’irréparable.

Vous comprenez aisément qu’un soupçon de préparation est donc recommandé. Si vous choisissez de montrer le fait que vous assumiez votre acte aux yeux de tous, votre démarche doit d’être limpide.

Avant de vous donner la mort, vous devez donc dans un souci d’élégance, de parfaite lucidité, préparer votre entourage à cette disparition. Pour cela s’offrent à vous deux possibilités : les explications ou l’indifférence travaillée.

Une solution envisageable est la lettre posthume. Mais là, vous vous exposez au péril de la libre interprétation qui risque fortement de brouiller ce qui doit être une conclusion. Vous encourez le danger certain de troubler la clarté de votre geste en donnant à paître ce support figé, à la débordante imagination de ceux qui restent.

En dépits de tout le soin que vous porterez à sa rédaction, la lettre méritera des explications que vous ne serez plus en mesure de fournir étant donnée votre nouvelle situation.

Bien sûr, vous aurez été attentif à lever dans le texte la moindre parcelle d’ambiguïté. Mais si vous sentez le besoin de laisser une missive posthume, c’est qu’elle sera adressée à des personnes qui ne vous comprenez déjà pas vivant, alors mort.

En effet, sur la trace écrite se pose un problème de vocabulaire qui est accentué par la douleur de votre disparition. Il est bien évident que suivant le vécu de chacun, surtout face à la mort, les définitions des mots employés diffèrent. Les phrases résonnent différemment suivant les affects. Dans ces circonstances, ils y liront ce qu’ils voudront, comme pour une lettre de rupture amoureuse où chaque mot est pesé par le lecteur, interprétant l’agencement de certaines phrases afin de nourrir un espoir même infime alors que le texte est clair. Ils surinterpréteront certains termes complexes, certaines expressions devenues vagues à leurs yeux. Ce sera pour eux une occasion inespérée de régler quelques comptes avec vous, ou de s’enduire de pathos afin de pouvoir sombrer dans le mélodrame et lâcher le terrifiant : « Nous faire ça, à nous ! » Celui-là même que vous devez craindre avant tout.

Les mots peuvent être traîtres, surtout lorsque vous les chargez d’un message qu’ils doivent porter seuls, et ce justement quand vous voudriez qu’ils vous soient les plus fidèles.

Dans votre entourage certains n’hésiteront pas à s’engouffrer dans les brèches de la langue. Ils tordront les phrases pour en faire sortir un venin que vous n’auriez pas soupçonné, et qu’ils feront boire à petites doses à ceux qui souffrent déjà. Non, vraiment là n’est pas la solution.

Sachez partir discrètement sans traîner, ne soyez pas encore un peu là après. Etre, puis ne plus être.

Et puis quelle vanité de croire qu’un texte vous survivrait, car il y a un peu de ça ne vous le cachez pas.

La fin doit être sans épilogue.

A la lettre, préférez une préparation ante mortem de vos proches par le biais d’une série d’entretiens exhaustifs aux arguments bien ficelés. Ce sera alors l’occasion d’exposer les raisons de votre acte. Le bien fondé de votre suicide est une question bien trop personnelle pour céder pas à la tentation de convaincre de l’intérêt du suicide en général.

Vous êtes seul et désirez le rester. Il ne faut laisser aucun espace de réflexions à l’interlocuteur. Vous devez l’abandonner, persuadé qu’il n’a rien pu faire pour vous, qu’il a tout essayé, et qu’il ne peut maintenant plus rien. Votre décision est irrévocable.

Vous lui exposez vos motivations dans le seul but d’épuiser le sujet. A votre mort, qu’il se dise : « Il n’y a plus rien à ajouter ».

Grâce à cette fastidieuse entreprise de désamorçage, vous éviterez les accusations posthumes auxquelles vous pourriez vous exposer en ne laissant derrière vous qu’un simple vide.

A l’inverse de ce travail de préparation au deuil, dont vous envelopperiez vos proches, vous pouvez décider de proclamer avec talent la litanie des raisons qu’ils ont de se sentir coupable, et ainsi précéder votre disparition d’un éclatant suicide social.

Convenez qu’il est plus honnête d’affirmer votre désir de partir par un manque d’attachement à ceux qui restent.

Sans regret, vous les quittez. C’est d’ailleurs un peu à cause de leur médiocrité que vous avez décidé ne pas continuer la mascarade. Alors ne faites pas semblant et dites-leurs. Ne cherchez pas à être pleurez par des personnes pour lesquelles vous n’avez après tout que le plus grand mépris.

Convenez que précéder son geste d’un suicide social est la marque d’une grande finesse. Suivez Montaigne dans ses Essais qui propose de « faire comme les animaux qui effacent leur trace à la porte de la tanière ».

Gardez-vous en tout cas, de la tentation de provoquer la haine à votre égard. Vous risqueriez de passionner votre suicide et là encore, de faire parler de vous après votre disparition.

Non, détachez-vous lentement. L’effacement doit être long et délicat, il vous faudra être patient, avant de ne plus subir les assauts répétés de ceux qui disent vouloir vous sauver. Ils demeureront bien longtemps au chevet de votre « santé mentale », mus par une niaise compassion mais aussi par la perversion voyeuriste.

Laissez-les se lasser. Qu’ils s’épuisent sur cette carapace de détachement et de mépris que vous arborerez. Et disparaissez seulement quand vous êtes assuré de n’être déjà plus.

Partez comme un bateau quittant majestueusement le quai, se détachant imperceptiblement, infiniment lentement.

Lorsque vous serez assuré d’être hors de portée, alors préparez votre mise en terre afin de n’imposer à personne la prise en charge de cette corvée.

Puis, en silence passez à l’acte. Alors personne ne viendra verser de larmes hypocrites.

Vous tomberez dans l’oubli le plus discrètement possible, dans la plus grande indifférence. Votre passage ici n’aura été qu’un rêve

Etre, puis ne pas être.

« Je veux mourir de ma mort, et non de celle des médecins » disait Rainer Maria Rilke. C’est pourquoi il s’agit de ne pas rater votre suicide. Vous seriez alors à la merci du corps médical dans toute sa fièvre thérapeutique. Les médecins élus, se sentant investis d’une mission divine vous maintiendraient en vie comme on maintient un torturé la tête sous l’eau.

Imaginez-vous, alité dans la chambre d’un hôpital aseptisée, paralysé dans un lit, artificiellement lié par une camisole chimique, enchaîné à ce monde par un appareillage sophistiqué dont vous ne pouvez espérer aucune défaillance. Ne comptez pas non plus sur un membre de votre trop pieuse famille pour vous débrancher. Ils préfère s’épargner les affres de la culpabilité plutôt que de vous épargner ceux de la douleur de vivre. Vaines prièrent, comprenez aussi que votre mort serait un peu la leur et puis ils ont la Loi avec eux. Vous seriez condamné à vivre !

Alors vous devez préparer avec soin les outils de votre mise à mort et faire les bons choix. Surtout ne rien négliger. Ces préliminaires doivent attirer maintenant toute votre attention. De plus, il s’agit de partir dans une certaine dignité, une élégance qui soutiendra la détermination de votre geste.

Ecartez dès le début toutes les morts violentes qui pourraient faire croire à un accès de folie sans fondement. D’autant plus, que ce genre de suicide offre, à ceux que vous chargez de venir vous mettre en terre, le spectacle d’un corps mutilé. Ce qui vous l’avouerez, dénote d’une certaine incorrection de votre part. Enumérons-les :

La noyade tout d’abord, qui rejettera votre enveloppe à la surface plusieurs jours après votre disparition. Le corps exagérément gonflé d’eau, la nature ayant commencée à récupérer vos restes immondes. Votre dépouille sera couverte de toute la gamme des couleurs grises et violacées. Non !


Le coup de fusil risque d’offrir un spectacle tout aussi affligent, à moins de vouloir suivre les pas du vieux colonel devenu impuissant, Hemingway qui se suicida d’un coup de fusil de chasse après avoir lu quelques lignes de « The importance of being earnest » d’O.Wilde.

Si c’est votre choix, prenez soin d’incliner suffisamment le canon vers le haut. Pointez-le bien vers le palais plutôt que le fond de la bouche car vous risqueriez de ne provoquer qu’un douloureux arrachement de la mâchoire, comme pour Robespierre qui ne fut guillotiné que plusieurs jours seulement après sa tentative.

Jacques Rigaut pointa le canon vers le cœur, dont l’emplacement est à déterminer au préalable par une orchidée.

La pendaison est une science extrêmement précise. La table de calculs combinant la hauteur de corde avec le poids du corps doit être maîtrisée afin de ne pas être au-delà du seuil de l’arrachement de la tête ni en deçà de celui de la longue agonie par étouffement. Aussi, le visage grimaçant et l’état d’érection légendaire ne sont pas du meilleur goût. Ajoutez à cela que le pendu doit être récupéré rapidement, sous peine d’être croisé dans un état pitoyable, par quelques enfants en cachettes.

L’esthétisme cinématographique de la mort par ouverture des veines dans la baignoire d’eau chaude je précise, est assez fascinant j’en convient. Bien que ce soit un bain, cette ultime ablution doit être prise en tenue décente. Mais là encore, veillez à ce que le corps soit récupéré rapidement car il subirait ici les mêmes symptômes que dans le cas de la noyade.

Le grand saut est un peu banalisé et son caractère publique voire exhibitionniste lui ote toute forme d’élégance. Ou alors choisissez le batiment en conséquence aisni que la zone de contact.

Détournez-vous des suicides hasardeux comme le gaz, ou d’autres actes passifs, qui vous laisseraient à la merci d’une défaillance du service publique ou d’un voisinage XXXX qui aurait alors la mauvaise idées de vous « sauver ».

Dans tous les cas, vous prendrez la précaution d’organiser, soit par un coup de téléphone quelques instants avant votre passage à l’acte, soit par la ponctualité d’un rendez-vous fiable, la levée rapide de votre corps.

Le summum reste l’injection létale décrite dans le « Manifeste pour une mort douce » de M. Thévoz et R. Jaccard, qui révèlent le combat du Docteur Kevorkian, et livrent à travers le procès qui lui a été intenté dans les années 90, la Solution pour accéder à une mort digne :

« 3 flacons à perfusion. Une solution saline pour ouvrir les veines, une bouteille de penthotal pour anesthésier le patient, une de potassium qui bloque le cœur. Le médecin injecte la solution saline, et c’est au patient d’appuyer sur un interrupteur pour libérer les 2 autres produits. »

Ensuite libre à vous de trouver la meilleure place où abandonner votre dépouille, bien que les lieux publics soient les plus mal indiqués. Vous offrir en spectacle, serait trahir votre ligne de conduite, qui jusque-là se trouvait être irréprochable. A ce moment, qui ne doit être que le vôtre, la pudeur est de rigueur.

Préférez la scène intime et solitaire de votre salon privé.

Il s’agit nullement d’une fuite, alors arrangez vos dernières affaires, que l’on vous trouve dans une pièce soignée afin que vous n’ayez pas l’air d’être parti dans la précipitation. Et puis n’est-il pas vrai que vous allez recevoir ?

Dans le théâtre de la vie et plus particulièrement de la mort, une attention singulière, primordiale doit porter sur la tenue du défunt que vous allez devenir. Je ne vous ferai pas l’affront de vous conseiller en la matière, mais notez que Romain Gary acheta pour l’occasion, une robe de chambre vermeille en soie sauvage.

A cet instant, l’élégance de votre toilette doit révéler au monde, la finesse du style de toute une vie d’un dandysme éclairé.»

En concluant ce traité, je me rendis compte que je ne pouvais me résoudre à suivre le chemin qui m’était tracé. Le suicide comme dépendance pathétique de cette lignée vouée à s’ouffrir la mort de père en fils. Je devais trouver une excuse pour me libérer de cette filiation suicidaire.

Je fis appel aux grands penseurs du suicide, et trouva mon salut chez Cioran, pour rester encore un peu :

«…mais si vous pouvez encore rire, alors ne vous suicidez pas. »

Je pris alors le parti d’appliquer à la lettre les propos du grand nihiliste et de rire de cette mascarade. Et pour me convaincre, j’inscrivis au fronton de ma bibliothèque cet indélébile aphorisme, en alibi salvateur :

« Se suicider serait donner beaucoup trop d’importance à la vie. »

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